Discours d'ouverture du Très Magnifique frère Président, Eq. ab Aquila/Prost de Royer au Convent de Lyon 1778.
Chrétiens, Braves et Bienfaisants Chevaliers,
Mes Frères.
Ce convent National, est pour nous, pour l'ordre, pour l’humanité, une Epoque intéressante, si nous avons l'art et le courage d'élever à la vertu un temple, qui par la pureté de son culte, fixe à jamais le zèle de ceux qui s’y consacreront, la protection des souverains et le respect des peuples.
Je n'appelle pas vertu, cette manie sombre et aveugle insensible et personnelle, qui s'enfonce dans les désert, se concentre dans les Cloitres, et n'a pour objet que l’autre vie.
Je n'appellerai pas culte de la Vertu, ces associations qui n'ont pour objet réel qu'une égalité momentanée, et des aumônes parcimonieuses, qui ne présentent à la raison étonnée que des vêtements ridicules, des épreuves révoltantes, des serments atroces, des cérémonies bizarres, des secrets divulgués et des mystères absurdes, dont le résultat unique est de donner aux Gouvernements des inquiétudes, par l'abus qui peut en être fait.
J’entends cette vertu simple et sublime, dont l’univers est la patrie, dont l’humanité est l'objet, dont la bienfaisance est le culte.
C’est ce sentiment profond qui nous rend malheureux par l'infortune de nos parents, de nos amis, de nos compatriotes de tous les hommes, et qui nous crie sans cesse de faire pour les autres, ce que nous voudrions qu’ils fissent pour nous-mêmes.
C’est cette vertu des Rois, si heureusement chantée par l'éloquente Philosophie, qui ne fait plus consister leur gloire et leur bonheur que dans la félicité de leurs sujets et la prospérité de leur Empire.
C’est ce sentiment irrésistible, qui depuis si longtemps inspire à quelques hommes l’idée de se réunir, afin d'acquérir plus de lumières et de forces pour exercer la bienfaisance.
Tel fut l'objet de nos premières initiations, mais nous fûmes bientôt dégoutés par le peu de bien qui se faisait réellement, par ce vain étalage de cordons et de titres destinés uniquement a amuser des enfants, par la multiplication incroyable de tous ces Grades, dans lesquels chaque Novateur imbécile, ou fripon a toujours vainement place les secrets, les mystères et le but du la Maçonnerie.
Nous vivions dans ces ténèbres lorsque nous avons aperçu une lueur du côté du Nord. Dresde et Brunswick nous ont présenté une association mieux composée et plus puissante pour faire le bien. Nous avons eu y reconnaître celle que préside le Gouvernement Suédois et par laquelle dans ce Royaume, sont administrés les Orphelins, les Enfants trouvés et les Invalides.
Nous avons été éblouis par les noms de tant de souverains, qui, dans ce siècle de l’humanité et de la raison, ne peuvent en effet chercher dans des associations universelles que des lumières pour s’instruire, et des coopérateurs pour faire le bien. Nous avons été entrainés par le nom de ce Prince vertueux, qui après tant de victoires, semblait chercher une gloire nouvelle dans l’exercice des fonctions de notre Supérieur Général. Nous avons demandé à faire partie de cet Ordre, et nous avons été accueillis. Nous avons reçu une Règle, un Code, un Précis historique, un Rituel et une Matricule, avec le respect que doivent naturellement inspirer le serment que nous avons prêté et l’idée que nous avions conçue.
Rendus à nous-mêmes, nous avons vérifié le précis historique, qui nous avait été donné comme certain, et nous y avons trouvé des inexactitudes et des ténèbres, pour ne rien dire de plus.
Nous avons analysé nos rites et notre Régime, nous y avons trouvé le Monachisme imbécile, le despotisme insolent et destructeur et ce qui est plus important dans notre Nation, nous y avons reconnu une origine, un rapprochement et une restauration, qui malgré la loi fondamentale de la tolérance, malgré l’admission des personnes mariées, malgré la formule de la renonciation absolue aux biens de l'Ordre, donnera toujours des inquiétudes aux propriétaires de ces biens, de la jalousie aux autres ordres, de l’embarras à cette autorité salutaire, qui ne peut veiller sur la tranquillité publique qu’en empêchant les Assemblées secrètes. Nous y avons trouvé enfin un caractère qui peut compromettre avec le Gouvernement, et nos établissements, et les individus eux-mêmes.
C’est au milieu de ces découvertes, et de la fermentation sourde, qui devait en résulter, que s'est formé dans la Ve Province un orage, qui avait son foyer dans le vice même de nôtre Régime.
Il pouvait être calmé dans un Convent General, mais l'impossibilité de le former dans les flammes de la guerre, qui désole la VIIe et la VIIIe Province, a amené la nécessité d’un Convent National. Nous l’avons annoncé dans ces Provinces nous y avons invité des Établissements étrangers, qui par leur rapprochement et leurs vues, ont avec nous les rapports les plus intimes.
Nous prions d’ailleurs de nous aider de leurs lumières de leurs observations et de leurs recherches, tous ceux de nos FF., qui, sans être Capitulaires, n’en ont pas moins de zèle, et n'en seront pas moins admis à présenter leurs vues pour la réformation de l’Ordre et le bonheur de l'humanité.
Le F. Chancelier de la Ve Province a bien voulu préparer un projet de Règle, de Code de Rituel et de Matricule, que nous avons déjà parcouru, dont l'examen et la fonction seront l’objet de plusieurs séances. Si nous sommes assez heureux pour acquérir une consistance utile, durable, tranquille et satisfaisante, n’oublions jamais tout ce que nous devons aux travaux et aux veilles de ce digne F. à sa constance, à son courage, à l’élévation de son âme, à la grandeur de ses vues, et aux sacrifices qu’il a fait en tous genres
Le F. Préfet de Nancy voudra bien des aujourd’hui lire un travail, pour lequel il s’est renfermé longtemps qui a pour objet de fixer irrévocablement la vérité an milieu des ténèbres et des mensonges que présentent d'un côté le précis historique, qui nous a été donné et de l'autre les monuments historiques de toute l'Europe. Le Zèle et les sacrifices journaliers de ce digne F. ajoutent à la reconnaissance de sa Préfecture, celle de l’Ordre entier.
Le temps nous permettra à peine aujourd’hui d’examiner quel nom, dans l’intérieur, il nous convient de retenir ou de prendre. Cette question est plus importante qu'on ne pense dans notre siècle, dans nos mœurs, dans notre nation, dans notre gouvernement dans les circonstances où nous sommes vis-à-vis des autres établissements Français. Telle est la faiblesse de la Nature humaine, qu'il est difficile d’effacer les premières impressions jetées par la dénomination, l’abord, la physionomie, les manières el les vêtements même, et cette impression est plus grave dans une nation bonne, douce, gaie, mais légère et frivole sur laquelle l'impression du ridicule seul à tant de pouvoir, qu’il a souvent empêché les établissements les plus utiles, et qu'aujourd’hui encore, c'est l’arme la plus dangereuse des Courtisans lorsqu’ils veulent perdre un ennemi, ou un projet.
Parmi les objets que nous aurons ensuite à discuter, il en est trois principaux, sur lesquels je prie le Convent et chaque F. en particulier, de porter dès à présent toute son attention.
1. Qui sommes-nous? qui voulons nous, et qui pouvons-nous être. Hommes, sujets, citoyens avant tout, n’avons-nous pas déjà tant de devoir à remplir et si nous nous en imposons volontairement d’autres, ne devons-nous pas les assujettir à nos lois, à nos mœurs, à nos usages et aux circonstances? Ce qui fut bien jadis, ne pourrait-il pas être aujourd'hui, mal, ridicule, dangereux même, car la Divinité seule est immuable ?
2. Quel rapport devons-nous avoir avec les VIIe et VIIIe Provinces ? S’il est vrai que l’union de ces Provinces avec la Suède soit rompue, n'est-il donc pas possible aussi d'exister sans elles et indépendamment d’elles ?
S’il est vrai que les rayons de bienfaisance doivent embraser tous les hommes ; s’il est doux d’avoir un système plus étendu, d’avoir et de trouver des FF. plus au loin et partout, s’il est possible, ne faut-il pas en même temps que l’espèce de rapport que l'on établit avec eux soit tel qu'il ne se détruise pas par lui-même, qu’il ne nuise pas à ceux qui le recherchent et au but même que l'on se propose ? S’il n’y a aucun inconvénient pour les VIIe et VIIIe Provinces d’admettre leur restauration et leur existence telle que nous l’apercevons, et s’il y a pour nous des dangers inévitables, sinon aujourd’hui, du moins dans l’avenir, n’est-il donc pas possible de conserver ces rapports pour tout ce qui est essentiellement bien, et de les détruire ou de les oublier pour tout ce qui peut nuire à l’intérêt général et à la tranquillité commune ?
3. Enfin quel est notre but? En est-il un autre que la bienfaisance ? On s’abime dans les ténèbres des temps les plus reculés, pour supposer une recherche continuelle d'une vérité unique et fondamentale, dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral, source éternelle et inaltérable de connaissances que l’homme peut acquérir sur son origine, son essence, sa destination, ses devoirs; sur la formation, l'ordre et la conservation de ce vaste univers. Ces connaissances sont appelées la Science par excellence et leur objet la Vérité.
On suppose cette Science possible, existante, naturelle à l’homme avant sa dégradation, et conservée encore, comme le feu sacré parmi un petit nombre d'êtres privilégiés. On croit la voir dans les initiations et les mystères des Indiens, des Parsis, des Guèbres, des Egyptiens, des Grecs et des Romains ; on la place dans les forêts sombres, où les Gaulois nos aïeux célébraient leur culte sauvage et sanguinaire, on la place dans les catacombes des premiers chrétiens, et dans les expressions réservées, mystérieuses ou intelligibles de quelques-uns des premiers Pontifes.
On fait consister cette science dans certains nombres mystérieux, dans des lustrations purificatoires dans des abstinences extraordinaires, dans des initiations nocturnes dans des recueillement emphatiques, dans des rapports que n'empêchent ni la distance des lieux, ni les pouvoirs humains, ni l'ordre de la nature, ni la mort elle-même. On suppose que la vraie franc-maçonneries n'est autre chose que le dépôt de ces connaissances, et que le temple de Salomon n'en a été que l’emblème. On suppose que la Maçonnerie n’est autre chose qu'un Ordre qui à succédé sous un autre nom aux anciennes initiations des Païens et des premiers Chrétiens et l’on croit en trouver une preuve dans un manuscrit du Xe siècle, qui peut être apocryphe comme tant d’autres.
On se persuade que les Templiers eurent, conservèrent et accrurent cette science, qu'elle fut la source sinon de leurs lumières (car alors les ténèbres étaient universelles) mais de leur pouvoir, de leur fortune immense, et par là même la cause ou de prétexte de leur persécution, et il faut convenir que dans leur défense on trouve des traits qui laissent à cet égard quelque doute.
On a été jusqu’à prétendre que le dépôt de ces connaissances a été conservé parmi ceux que la VIIe et VIIIe Provinces appelaient Clerici, et quoique ceux que l'on a connu n’aient paru ni puissant, ni riches, ni éclairés, quoiqu’ ils aient nouvellement abdiqué leur Cléricature, on conserve encore des doutes.
Enfin au milieu de ce chaos ténébreux, on nous montre des êtres extraordinaires, tel qu'un Swedenborg mort dernièrement en Suède, et le fameux Comte de St Germain, vivant peut-être encore aujourd'hui dans je ne sais quelle partie de l’Europe.
Lorsqu’il est avéré que les Newton, les Looke, les Line, les Boerhaave, les Haller les Montesquieu, les Rousseau etc. n’ont rien puisé, ni même cherché dans cette Science occulte des nombres, des êtres inaperçus, des rapports insensibles et des sentiments intimes, il est permis de douter.
Cependant que ceux qui s'en sont occupé, et qui y ont trouvé quelque attrait, continuent leurs études, l’Alchimie et la Métaphysique, dans leurs égarements même ont mené à de grandes découvertes.
Mais éloignons ces recherches de nos Temples, et surtout qu'on ne puisse pas imaginer qu’elles sont notre but. Nous reverrions bientôt renouveler parmi nous ces scènes extravagantes jouées en quelques lieux de l'Allemagne, ou des hommes raisonnables assemblés sous l'emblème de la Maçonnerie, ont laissé douter seulement quels étaient les plus fripons et quels étaient les plus imbéciles ; nous n’inspirerions plus que le mépris ou la méfiance ; Eh ! qui sait si nous ne serions pas exposés à de nouveaux malheurs.
Déterminons et consacrons dans nos fastes que notre association, n’a, n’aura jamais, et ne peut avoir d'autre but que la bienfaisance. Cette carrière est assez vaste pour nos cœurs, pour notre existence, pour nos espérances même. Alors nous pourrons nous montrer tels que mous sommes et que nous voulons être; alors nous trouverons facilement des garants auprès du Gouvernement ; notre conduite et nos bienfaits feront le reste.
Si je mets dans ce développement quel qu’étendue, et une franchise à laquelle ne sont point accoutumés ceux des FF. de qui j’ai moins le bonheur d'être connu, c’est que je suis vivement frappé de son importance; c’est que je suis convaincu que ce Convent peut être le tombeau de l'Ordre entier et de la Maçonnerie même, ou que, si après tant de fluctuations, d'orages et de ténèbres, nous venons à bout de retrouver la lumière, et de former un établissement durable, ce n'est qu'autant que nous le rendrons utile à l'humanité et à la patrie. C'est là pour moi une vérité évidente, et je vous la dois mes CC. FF., puisque je me vois placé à votre tête, autant par votre confiance, que par le rang de ma Province. Si je m'égare, vous devez tous m'éclairer, et je l'espère de votre amitié pour moi, je l'attends du nœud sacré qui nous unit.
Quel que soit le résultat de nos conférences, j'appartiendrai toujours à des hommes qui n'ont d'autre but que la bienfaisance, d'autre objet que l'humanité, d'autre passion que celle de la vertu. J’eus un frère unique que j'aimais tendrement, en me voyant au milieu de vous, mes CC. FF., laissez-moi penser que je l’ai recouvré et que vous m’en tenez lieu. C'est une illusion sans doute, mais elle est chère à mon cœur, elle fera la douceur et la consolation de ma vie. »
Protocole du Convent de Lyon 1778.
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